Jouer avec son cerveau
Il contr?le un jeu informatique uniquement par la pensée. Samuel Kunz, paraplégique, s'entra?ne actuellement avec des chercheurs de Zurich et de Singapour en vue du Cybathlon de cette année.
Samuel Kunz est en pleine phase d'entra?nement. En novembre, il affrontera neuf athlètes concurrents lors du Cybathlon 2020 Global Edition. Sa discipline : une course de voitures virtuelles, dans laquelle il pilotera le véhicule uniquement par la pensée. Pour cela, Paulina Kratka, étudiante en bachelor au "Neural Control of Movement Lab", lui rend régulièrement visite à Frauenfeld, lui enfile une casquette avec 64 électrodes et remplit chacune d'entre elles d'un gel électrolytique afin d'assurer le Contact entre l'électrode et le cuir chevelu. Elle couple ensuite les c?bles de la casquette à un amplificateur de signaux relié à un ordinateur portable sur lequel tourne le jeu informatique.
Samuel Kunz est le pilote de l'équipe Brain Computer Interface (BCI) de l'ETH Zurich. Il est devenu paraplégique à partir du cou suite à un accident de baignade sur la Limmat en été 2014. Cela ne l'a pas empêché de terminer ses études d'ingénieur en mécanique à la ZHAW et de travailler maintenant comme constructeur. "Je suis très porté sur la technique", dit-il. "Quand mon thérapeute m'a parlé du Cybathlon, j'ai tout de suite su que je voulais y participer".
EEG au lieu du volant
Pour le Cybathlon de cette année, Nicole Wenderoth, professeure à l'ETH au "Neural Control of Movement Lab", travaille en étroite collaboration avec le professeur Cuntai Guan de la Nanyang Technological University (NTU) à Singapour. Le groupe de ce dernier s'est spécialisé dans l'électroencéphalographie (EEG) et le traitement des signaux neurologiques. L'EEG est utilisé en neurosciences pour mesurer l'activité électrique du cerveau. Avec les bons algorithmes, elle permet également de faire fonctionner des jeux informatiques.
"Avec l'EEG, nous mesurons tous les signaux du cortex cérébral", explique Rea Lehner, Senior Programme Manager et Senior Researcher Future Health Technologies à Singapour et manager de l'équipe BCI. "C'est pourquoi, au début, nous avons un fouillis complet de signaux cérébraux différents". Le plus grand défi, selon elle, est de filtrer les signaux utilisés pour contr?ler le jeu informatique et de les identifier gr?ce à l'apprentissage automatique. Dans le cas de l'équipe BCI de Lehner, il s'agit des signaux du cortex moteur situé à l'arrière du lobe frontal du cerveau. On sait en effet, d'après la littérature de recherche, que ceux-ci se prêtent le mieux à l'établissement d'une interface cerveau-ordinateur en raison de leur activité univoque.
L'équipe du Cybathlon, également soutenue par la clinique de rééducation de Zihlschlacht et l'entreprise Brain Products, s'est employée pendant près de deux ans à optimiser l'algorithme de traitement des signaux. Celui-ci doit transformer les signaux électriques du cortex moteur de Samuel Kunz en mouvements précis et ciblés sur l'écran. Il s'agit ici de quatre commandes : Si Kunz veut diriger la voiture vers la gauche, il pense à bouger sa main gauche. Pour un virage à droite, il pense à sa main droite. Pour aller tout droit, il doit se détendre au maximum et pour allumer les phares du véhicule en cas d'obscurité soudaine dans le jeu, il pense à bouger ses deux mains en même temps. En fonction de ses pensées, un schéma différent est activé dans la région du cortex. Celui-ci est enregistré par EEG et transformé en signal de commande par des algorithmes. "Les entra?nements sont éprouvants", explique Kunz. "Quand je bouge mon corps en pensée, c'est un peu comme si j'étais pris dans une masse visqueuse comme du miel", mais c'est déjà beaucoup mieux qu'au début, quand son corps se sentait comme bétonné. Ce n'est que par la rééducation et l'entra?nement qu'il a progressivement retrouvé une sensation mentale de son propre corps.
Pendant que les collègues de Singapour bricolent l'algorithme, on s'entra?ne assid?ment en Suisse. Un programme qui analyse la performance de l'algorithme fonctionne en permanence en arrière-plan. "Le nombre d'unités d'entra?nement avec un algorithme donné est décisif, car celui-ci s'adapte au pilote et le pilote s'habitue à son tour à l'algorithme", explique Lehner. Selon lui, il est difficile de trouver le moment idéal pour arrêter le développement de l'algorithme.
Intérêt des entreprises tech
Contrairement aux autres technologies présentées au Cybathlon, le BCI est encore le plus éloigné des premières applications pratiques. Une telle application serait par exemple la commande mentale d'un fauteuil roulant. Mais la préparation et l'utilisation d'un capuchon d'électrode sont compliquées et la conversion des signaux est complexe. Jusqu'à présent, il est plus facile d'utiliser des signaux émis par des muscles encore actifs, comme les paupières par exemple. De tels signaux sont nettement plus puissants que les "signaux de pensée".
Du c?té de l'industrie, l'intérêt pour le BCI est toutefois déjà énorme. Google et Facebook investissent des millions dans ce domaine. Après la commande vocale, la commande par la pensée des smartphones et des tablettes devrait être la prochaine grande affaire. Elon Musk, le fondateur de Tesla, mise lui aussi sur le BCI avec son entreprise Neuralink. Pour cela, plus de 90 collaborateurs développent entre autres des électrodes implantables ultrafines. Une application s?re sur l'homme n'a toutefois pas encore été réalisée. Lehner se montre d'ailleurs critique à l'égard de ces BCI invasifs : "Avec des électrodes placées directement dans le cerveau, on obtient bien s?r des signaux beaucoup plus clairs qu'avec une casquette", dit-elle. "Mais de telles interventions ne sont jusqu'à présent justifiées que dans des cas exceptionnels en termes d'avantages pour les patients." Les complications peuvent être graves et il manque encore des études à long terme sur de grandes cohortes. Lehner espère donc que le développement de technologies BCI non invasives progressera rapidement, afin que les technologies invasives ne soient utilisées que dans des cas exceptionnels.
La sieste pour gagner
Le 13 novembre, le moment est venu : Samuel Kunz tentera de s'imposer face à neuf équipes internationales de BCI. Sur une distance de 500 mètres, il devra exécuter les quatre commandes quatre fois, dans un ordre inconnu. Le plus grand défi pour le pilote est de ne pas bouger les muscles du visage, raconte Kunz, car cela entra?ne de lourds signaux parasites. Jusqu'à présent, il a obtenu son meilleur résultat après une sieste réparatrice. "Mais je ne sais pas encore si je parviendrai à faire une telle sieste juste avant la course".
La version originale de ce texte est publiée dans le numéro de mars de cette année de l'ETH Magazine. Globe paru .
CYBATHLON 2020 ?dition globale
Le Cybathlon est une compétition unique en son genre, au cours de laquelle des personnes handicapées se mesurent en accomplissant des t?ches pertinentes pour la vie quotidienne au moyen de systèmes d'assistance technique ultramodernes. Le premier Cybathlon initié par l'ETH Zurich a eu lieu en 2016. Les 13 et 14 novembre 2020, le Cybathlon sera organisé dans un nouveau format : plus de 60 équipes du monde entier s'affronteront dans les disciplines éprouvées, mais réparties sur l'ensemble du globe. Au lieu de s'élancer directement les uns à c?té des autres, les pilotes s'élanceront individuellement partout où ils se trouvent et filmeront leurs courses. Depuis Zurich, les compétitions sont diffusées sur une nouvelle plateforme avec un programme en direct. Pour en savoir plus sur le Cybathlon 2020 Global Edition, cliquez ici. ici.