Le plastique décomposé en ses différentes parties
Une équipe de chercheurs de l'ETH menée par Athina Anastasaki est parvenue à décomposer un plastique en ses éléments moléculaires constitutifs et à récupérer plus de 90 pour cent de ces éléments. Un premier pas vers un véritable recyclage des matières plastiques.
Depuis longtemps, la chimie fabrique des polymères. Il s'agit de fabriquer de longues cha?nes de molécules à partir de petites briques moléculaires qui se lient entre elles. Les polymères sont à la base de toutes sortes de matières plastiques courantes comme le PET ou le polyuréthane.
Alors que la formation des polymères est établie et bien étudiée, les scientifiques n'ont jusqu'à présent guère étudié la manière dont les cha?nes de polymères sont à nouveau décomposées afin de récupérer les différents éléments constitutifs, les monomères. L'une des raisons en est que la dégradation est complexe. Il existe différents procédés de fabrication des polymères, et ce sont eux qui déterminent si un polymère peut être décomposé en ses différents éléments. De plus, les procédés de dégradation actuels nécessitent beaucoup d'énergie, ce qui les rend peu intéressants d'un point de vue économique. De plus, les polymères recyclés ne sont généralement utilisés que pour des produits de moindre valeur.
L'objectif est de décomposer les polymères
Athina Anastasaki, professeure de matériaux polymères à l'ETH Zurich, souhaite changer cela. Elle s'est fixé pour objectif de produire des polymères qui se décomposent bien en leurs éléments constitutifs, de sorte que ceux-ci puissent être entièrement recyclés.
La spécialiste en sciences des matériaux a maintenant fait un premier pas important dans cette direction : un article vient d'être publié dans la revue spécialisée page externeJournal de l'American Chemical Society une étude de leur groupe a été publiée. Anastasaki et ses collaborateurs y démontrent qu'ils peuvent décomposer certains polymères en leurs éléments de base, les monomères, et les recycler pour d'autres applications.
Les polymères dégradés sont des polyméthacrylates (p.ex. plexiglas) obtenus par une technique de polymérisation particulière (Reversible addition-fragmentation chain-transfer polymerisation, RAFT). Cette méthode relativement récente, pour laquelle l'industrie s'est entre-temps également intéressée, produit des cha?nes de polymères de longueur uniforme.
Premier succès
Les chercheurs de l'ETH Zurich ont réussi à récupérer jusqu'à 92 pour cent des éléments constitutifs des polyméthacrylates, et ce sans ajouter de catalyseur qui permettrait ou accélérerait la réaction. "Il est envisageable de perfectionner encore notre méthode et d'utiliser un catalyseur. Cela permettrait d'augmenter encore le rendement", explique Anastasaki.
Le groupe chimique présent à l'extrémité d'une cha?ne de polymères est déterminant pour la déconstruction. En chauffant le mélange polymère-solvant à 120 degrés Celsius, les chercheurs ont créé des "radicaux" à l'extrémité d'une cha?ne de polyméthacrylate, qui ont déclenché la dégradation (la dépolymérisation). Les collaborateurs de l'Université nationale australienne de Canberra ont pu confirmer ces résultats par le calcul.
Produire le même produit ou un produit différent
Selon Anastasaki, les éléments constitutifs récupérés permettent de fabriquer le même polymère ou un produit totalement différent, un hydrogel insoluble qui peut également être décomposé en ses monomères. Les produits nouvellement créés sont équivalents au produit initial. Cela contraste avec les produits précédents fabriqués à partir de polymères recyclés.
Mais il y a un hic : "Les produits fabriqués avec la polymérisation RAFT sont plus chers que les polymères traditionnels", explique Anastasaki. Pour remédier à cet inconvénient, elle et son groupe travaillent déjà à l'extension de la méthode pour des applications à grande échelle, ce qui rendrait la méthode plus compétitive et les produits moins chers. Les chercheurs visent en outre à augmenter le rendement et à récupérer tous les éléments constitutifs d'un polymère.
En outre, la scientifique des matériaux cherche à savoir si d'autres polymères peuvent également être dépolymérisés. Elle s'intéresse particulièrement au polystyrène, un plastique très répandu et bon marché utilisé dans de nombreux domaines de la vie quotidienne ("Styropor").
La méthode ne résoudra pas le problème des plastiques à court terme
Même si ce nouveau procédé donne l'espoir de résoudre le problème des déchets plastiques de l'humanité, Anastasaki s'en défend pour l'instant. Il n'y aura pas d'effet immédiat. "Il faudra encore beaucoup de temps et de recherches pour établir ce procédé dans l'industrie chimique", explique Anastasaki. Il ne permettra pas non plus de se débarrasser des déchets plastiques. Les polymères actuels ne peuvent pas être dégradés de cette manière. Il faut donc d'abord mettre en circulation de nouveaux polymères appropriés pour pouvoir en récupérer les éléments constitutifs. Mais cette méthode a un avantage : pour l'introduire et l'utiliser, il n'est pas nécessaire de construire de nouvelles installations chimiques.
"Avec la recherche sur la dépolymérisation, nous n'en sommes qu'au début. Il existe plus de 30 000 études sur le développement de nouvelles stratégies de polymérisation, mais seulement une poignée sur la récupération des monomères", explique Anastasaki.
Référence bibliographique
Wang HS, Truong NP, Pei Z, Coote ML, Anastasaki A. Reversing RAFT Polymerization : Near-Quantitative Monomer Generation Via a Catalyst-Free Depolymerization Approach. Journal of the American Chemical Society, février 25, 2022. doi : page externe10.1021/jacs.2c00963