Comment l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle peuvent se compléter
Mennatallah El-Assady développe des programmes d'IA qui expliquent leur démarche et permettent à l'homme de participer à la décision. Cela aide par exemple les politologues à analyser les débats avec plus de précision.
Lorsque Mennatallah El-Assady apprend à jouer de la fl?te traversière à l'?ge de sept ans, elle a d'abord du mal à traduire les points noirs sur les portées en notes. La solution : elle peint chaque note dans une couleur différente. "C'est ainsi que j'ai soudain pu bien lire les notes et que j'ai rapidement progressé", raconte-t-elle. El-Assady ne découvre que plus tard qu'elle souffre d'une forme de légasthénie.
Aujourd'hui, elle développe des programmes informatiques intelligents et travaille depuis peu à l'ETH AI Center en tant que post-doctorante. La spécialité de cette jeune femme de 31 ans sont les visualisations interactives, qui représentent graphiquement les données mathématiques derrière les applications d'IA. L'objectif : permettre aux personnes sans connaissances en programmation de comprendre le mode de fonctionnement des algorithmes et d'exercer une influence ciblée sur ceux-ci.
Bien qu'El-Assady ne joue plus régulièrement de la musique, la lisibilité de la notation musicale ne l'a pas quittée. C'est ainsi qu'elle a récemment participé au développement d'une application web qui représente les séquences de sons à l'aide de cercles de couleurs au lieu des notes classiques. Les utilisateurs ne sont pas les seuls à pouvoir afficher un morceau de musique de leur choix dans la notation musicale élargie en couleur. Des éléments de commande intuitifs leur permettent en outre de mieux conna?tre les particularités du morceau.
Dans une bo?te, il est par exemple possible de dessiner d'un clic de souris une succession de sons aigus et de sons graves ; les algorithmes de recherche repèrent la mélodie correspondante et la marquent en couleur. "Avec de telles métaphores visuelles, les gens peuvent interpréter une chanson même sans connaissances musicales préalables", explique El-Assady.
Fascination pour les applications de l'IA découverte très t?t
Le programme musical n'est qu'un des nombreux projets sur lesquels la chercheuse de l'ETH a travaillé pendant son doctorat - à moitié à l'Université de Constance, à moitié à l'Ontario Tech University. "En fait, c'est un projet latéral que j'ai développé au début plus pour m'amuser à c?té", raconte-t-elle. L'idée est née du fait que la musique présente de nombreux parallèles avec la langue.
L'analyse linguistique assistée par ordinateur est en effet le domaine de recherche sur lequel El-Assady travaille depuis bient?t neuf ans. La manière dont l'IA peut assister l'homme sous forme de moteurs de recherche, d'assistants vocaux ou de chatbots la fascine déjà pendant ses études. Mais en même temps, elle réalise que l'apport humain est indispensable - surtout pour entra?ner les algorithmes à une t?che spécifique dans la vie quotidienne.
La chercheuse de l'ETH cite comme exemple un modèle linguistique spécialisé dans l'identification des termes et des thèmes importants dans une base de données textuelle. Un tel programme d'IA serait utile aux politologues, car il leur permettrait d'analyser plus rapidement et plus facilement les longues transcriptions de débats politiques, selon El-Assady. Le problème : il existe d'innombrables possibilités de définir les catégories de thèmes.
Un programme interactif demande aux gens de donner leur avis
"Les algorithmes vocaux ne voient pas le texte de la même manière qu'un être humain", explique la spécialiste de l'IA. Les algorithmes intelligents regrouperaient en un seul thème des éléments de texte qui apparaissent souvent ensemble. "L'être humain, en revanche, tient également compte du contexte plus large et des connaissances générales du monde", poursuit El-Assady.
C'est en raison de ces différences et parce que chaque personne apporte ses propres idées qu'El-Assady trouve la collaboration entre l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle si importante. "Ensemble, l'homme et l'ordinateur obtiennent de meilleurs résultats que séparément", est-elle convaincue. Dans les programmes d'IA conventionnels, seuls les développeurs de logiciels parviennent toutefois à adapter les paramètres des algorithmes aux besoins personnels.
Surmonter cette restriction est depuis toujours la motivation d'El-Assady. Pour cela, elle a con?u une série de visualisations interactives en prenant l'exemple de l'analyse thématique basée sur l'IA. Un graphique semblable à une carte mentale montre par exemple en temps réel comment l'algorithme associe les éléments de texte à de nouveaux blocs thématiques pendant le processus d'apprentissage.
Si le modèle d'IA n'est pas s?r d'une attribution, il présente différentes options aux utilisateurs et leur demande leur avis. Plus le modèle re?oit de feedback d'une personne donnée, plus il apprend à conna?tre ses préférences et adapte ses propositions en conséquence.
L'analyse politique américaine suscite un grand intérêt
Cette approche ne permet pas seulement d'adapter les applications d'IA aux individus, explique la spécialiste de l'IA. "Dans l'analyse linguistique, il est important d'avoir le plus de points de vue possibles afin d'éviter les distorsions et les discriminations, ajoute El-Assady.
Une autre visualisation permet d'examiner de plus près le déroulement de la discussion. Des bulles colorées en mouvement indiquent le degré de détail des thèmes abordés dans une discussion et la personne qui mène la discussion. El-Assady représente également graphiquement les structures d'argumentation des locuteurs et permet d'adapter facilement les paramètres.
L'étude de cas des débats télévisés entre Donald Trump et Hillary Clinton à l'automne 2016 a permis à El-Assady de démontrer l'utilité de l'analyse linguistique interactive. La visualisation des bulles, en particulier, illustre bien comment Trump donne le ton, obligeant ainsi le présentateur et Clinton à le suivre.
Anticipation de nouveaux projets multidisciplinaires
L'écho de l'analyse que la spécialiste de l'IA a faite sur une c?té externeSite web est très important. Plusieurs universités américaines l'ont invitée à donner des conférences. De nombreuses nouvelles collaborations et questions de recherche en auraient résulté. Les analyses politiques basées sur l'IA suscitent également l'intérêt de l'ETH. Des scientifiques du Swiss Data Science Center ont déjà demandé à El-Assady si elle pouvait développer un programme similaire pour les débats parlementaires suisses allemands.
El-Assady réfléchit entre-temps à de nouveaux domaines d'application pour ses visualisations. Elle voit un grand potentiel pour les outils d'analyse linguistique dans la lutte contre les fausses informations sur les plateformes de médias sociaux. Ils permettraient par exemple d'évaluer le contenu des informations et les lignes d'argumentation dans des bulles de filtre extrêmes.
C'est pour mettre en ?uvre ces idées et bien d'autres encore qu'elle a posé sa candidature pour le poste au AI Center. "Les scientifiques de l'ETH travaillent sur des applications de l'IA dans un nombre incroyable de domaines différents de la vie", explique El-Assady. Elle est impatiente de s'attaquer à de nouveaux projets multidisciplinaires avec d'autres Pioneer Fellows. Au cours du semestre de printemps qui vient de commencer, elle transmettra également son expertise dans un nouveau cours à option pour les étudiants en informatique.