Des chercheurs de l'ETH Zurich et de l'Institut Paul Scherrer (PSI) ont découvert comment les protéines forment dans la cellule de minuscules gouttelettes de liquide qui agissent comme une colle moléculaire intelligente. Celle-ci adhère aux extrémités des microtubules et veille à ce que le noyau cellulaire soit correctement positionné lors de la division cellulaire.
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Pour les machines dotées de pièces mobiles, les couplages sont essentiels. Qu'ils soient rigides ou flexibles, qu'ils relient les arbres d'un moteur ou les articulations de notre corps : pour que les couplages transmettent les forces mécaniques comme on le souhaite, les matériaux utilisés doivent être adaptés.
Ce principe n'est nulle part mieux appliqué que dans une cellule : de nombreux processus biologiques reposent sur des interactions entre des structures mobiles couplées entre elles. Mais la manière dont la nature réalise de tels couplages a longtemps été une énigme pour les scientifiques.
Des chercheurs de l'ETH Zurich et de l'Institut Paul Scherrer (PSI) ont maintenant étudié un couplage nécessaire à la division cellulaire des levures. Ils ont découvert que ce couplage résulte de la condensation de protéines en une gouttelette de liquide.
Les protéines atteignent ainsi les propriétés matérielles parfaites qui garantissent leur fonction biologique. Les résultats viennent d'être publiés dans la revue Nature Cell Biology.
Liaison entre le c?ble tracteur et le moteur
Dans leur étude, les chercheurs se sont concentrés sur un couplage qui se produit à l'extrémité d'un microtubule. Les microtubules sont de minuscules tubes qui traversent le cytoplasme et sont constitués d'éléments protéiques appelés tubuline. Ils agissent entre autres comme des cordes de traction qui transportent des charges à travers la cellule.
L'une des charges les plus délicates est le noyau cellulaire, qui contient le matériel génétique de la cellule. Dans les cellules de levure, les microtubules doivent tirer le noyau vers l'endroit exact entre la cellule mère et la cellule fille en cours de bourgeonnement.
Pour cela, le microtubule doit se lier à une protéine motrice qui, à son tour, se fixe à un filament d'actine ancré dans la membrane de la cellule fille en formation. La protéine motrice commence alors à se déplacer le long du filament d'actine et tire ainsi le microtubule en direction de la cellule fille jusqu'à ce que le noyau cellulaire arrive à destination entre les deux cellules.
"Cette découverte n'est que le début d'une nouvelle compréhension du r?le que jouent les fluides intelligents dans la cellule".Yves Barral
Le couplage joue ici un r?le important : la liaison entre le microtubule et la protéine motrice doit supporter la tension qui appara?t lors du déplacement de la protéine motrice sur le fil d'actine. Elle doit en outre veiller à ce que le noyau cellulaire puisse être man?uvré avec précision.
"Il doit y avoir une colle entre le microtubule et la protéine motrice. Sans colle, le microtubule se détache et il en résulte une cellule fille non viable et sans matériel génétique", explique Michel Steinmetz, chef de groupe au PSI et spécialiste de la biologie structurelle des microtubules.
Couplages naturels flexibles
Pour réaliser ce couplage extraordinaire entre le microtubule et le filament d'actine, trois protéines se trouvent à l'extrémité du microtubule et forment le noyau du réseau dit Kar9.
Une question a longtemps hanté les scientifiques : Comment les trois protéines centrales du réseau Kar9 restent-elles attachées à la pointe du microtubule, même si des éléments constitutifs de la tubuline sont retirés ou ajoutés au tube et si des morceaux sont insérés ou découpés dans des sections voisines de la corde.
Les nouvelles découvertes montrent que, de la même manière qu'une goutte de liquide reste collée à la pointe d'un crayon, cette gouttelette de liquide composée de protéines condensées reste collée à l'extrémité du microtubule, même lorsque celui-ci grandit ou rétrécit.
Les chercheurs ont découvert que les trois protéines Kar9 atteignent les propriétés d'un liquide en coopérant gr?ce à un réseau d'interactions faibles. Comme les protéines interagissent en plusieurs points différents, la colle tient même si l'une des interactions est défaillante. Cela confère au microtubule une flexibilité suffisante pour rester couplé à la protéine motrice, même sous tension.
"Cette découverte n'est que le début d'une nouvelle compréhension du r?le que jouent les fluides intelligents dans la cellule", explique Yves Barral, professeur de biochimie à l'ETH Zurich. Son groupe de recherche étudie depuis longtemps la division cellulaire sur des levures. "Les fluides issus de biomolécules peuvent être extrêmement raffinés et présenter des capacités bien plus importantes que celles auxquelles nous sommes habitués de notre point de vue macroscopique." Il restera sans doute à démontrer que de tels fluides ont de nombreuses fonctions inhabituelles, sélectionnées par l'évolution sur des centaines de millions d'années, estime le professeur de l'ETH.
Dans leur étude, les chercheurs ont systématiquement examiné les interactions entre les trois composants protéiques du réseau Kar9. Sur la base des connaissances structurelles qu'ils avaient acquises lors d'études antérieures sur la source de lumière Suisse SLS au PSI, ils ont muté chacune des protéines afin d'éliminer de manière ciblée les sites d'interaction et d'observer comment cela se traduisait dans le tube à essai et dans les cellules vivantes.
Dans une solution, les trois protéines se sont réunies pour former des gouttelettes distinctes, semblables à des gouttelettes d'huile dans l'eau. Pour prouver qu'il en va de même dans les cellules vivantes, les chercheurs ont étudié l'effet des mutations sur la division cellulaire et la capacité des protéines à suivre l'extrémité d'un microtubule qui rétrécit.
"Dans l'éprouvette, il était encore facile de démontrer que les protéines en question interagissaient entre elles pour former un condensat liquide. Mais c'était un grand défi de trouver la preuve convaincante que cela se produisait aussi in vivo", explique Steinmetz. Il leur a fallu des années pour apporter cette preuve. Steinmetz a postulé l'idée d'une colle protéique liquide pour les pointes de microtubules avec une collègue des Pays-Bas dès 2015.
Pas de colle standard
Barral est fasciné par la sophistication de cette colle. "Ce n'est pas n'importe quelle colle, elle est intelligente et peut intégrer des informations spatiales pour se former de manière ciblée au bon endroit".
Dans l'enchevêtrement de microtubules identiques du cytoplasme, un seul des tubes re?oit la gouttelette de colle qui lui permet de s'accrocher au fil d'actine et de tirer le noyau de la cellule (et donc l'information génétique) au bon endroit. "La fa?on dont la nature parvient à assembler une structure complexe à l'extrémité d'un seul microtubule et pas à d'autres est vraiment étonnante", dit-il.
Les chercheurs pensent que ce sont les propriétés liquides des protéines qui permettent d'atteindre cette extraordinaire spécificité. Tout comme les gouttelettes d'huile fusionnent dans une vinaigrette, il se pourrait que de petites gouttelettes se forment d'abord sur de nombreux microtubules, puis qu'elles fusionnent pour former une plus grosse gouttelette sur un seul microtubule. La manière exacte dont cela pourrait se produire est encore inconnue et fait l'objet de recherches supplémentaires dans les laboratoires de Steinmetz et Barral.
L'étude est le fruit d'une collaboration entre les groupes de Michel Steinmetz au PSI et d'Yves Barral, professeur de biochimie à l'ETH Zurich. Ils ont été soutenus par les équipes de recherche de l'ETH d'Eric Dufresne et de J?rg Stelling.
Ce texte de la rédactrice scientifique Miriam Arell a d'abord été publié sur le site Internet de l'Institut Paul Scherrer (PSI).
Référence bibliographique
Meier SM, Farcas A-M, Kumar A, et al. Multivalency ensures persistence 1 of a +TIP-body at specialized microtubule ends. Nature Cell Biology, 19 décembre 2022, DOI : page externe10.1038/s41556-022-01035-2